Manon - Chapitre 1 : Pas si sauvage


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Elle s’était éveillée sur le tas d’os, avait lu les parchemins et les pierres gravées, avait affronté les esprits frappeurs, était parvenue à trouver l’ange bleu qui la fit entrer dans le monde des vivants pour comprendre que, à peine née, on cherchait déjà à lui voler sa vie. D’étranges fantômes la firent trembler de terreur et l’aspiraient comme avec une paille. Quand cela cessa tout à coup, elle vit d’autres personnes nues comme elle. Leurs formes, bien que parfois assez étranges, lui semblaient familières et ils émettaient des sons que, à sa grande surprise, elle comprenait.

« Nous sommes des amis. Nous sommes des mortels, comme-toi. Nous sommes du même côté » lui crièrent-ils alors qu’elle tentait de fuir et de se cacher.

Elle se méfiait, ne sachant pas vraiment quelles étaient leurs intentions vis-à-vis d’elle. Alors ils l’appelèrent "la sauvage". Après quelques négociations, elle accepta de les suivre, mais pas de se laisser approcher, et encore moins de se laisser toucher. Celle qu’ils appelaient Papillon en fit les frais en se prenant une bonne châtaigne sur le pif quand elle voulut poser son doigt sur la poitrine de la Sauvage.

Un peu plus tard, ils entrèrent dans une sorte de grotte souterraine. La Sauvage fut attirée par un étrange nuage vert. Elle ne put résister à l’envie d’y pénétrer. Elle sentit alors un grand picotement sur toute la surface de sa peau et fut emportée dans un tourbillon qui lui fit perdre consistance.  Elle reprit matière une fraction de seconde plus tard dans un lieu extraordinaire.

Un immense château. Des salles merveilleuses mais poussiéreuses, pleines de toiles d’araignée. Des fantômes, mais ceux-là n’étaient pas hostiles. Ils n’arrêtaient pas de parler d’un maître en disant qu’il l’attendait. La Sauvage se sentit rassurée, en sécurité. Les autres l’avaient rejoint et ils commencèrent à visiter l’endroit.

Les seuls autres mortels qui vivaient là étaient des petites bêtes à huit pattes. Très vite, La Sauvage comprit que ces petites bêtes étaient à l’origine des dentelles de fil fin qui décoraient les lieux, pendant de partout, formant des toiles collantes et désagréables. Un fantôme de femme était là et lui expliqua que le Maître, qui l’attendait, aurait souhaité qu’elle se présente à lui avec une tenue décente. La Sauvage avait vraiment envie de voir ce maître et, constatant qu’elle était nue, elle se mit à la recherche d’un vêtement. Comme annoncé par le fantôme, elle finit par trouver une robe blanche dans le fond d’un vieux coffre abandonné. Elle retourna voir le fantôme qui estima que cette tenue suffirait et la Sauvage fut de nouveau aspirée mystérieusement vers un autre lieu.

Une chambre royale, avec un lit énorme, comme un autel pour un dieu. Tout y était aussi poussiéreux et entoilé mais intact. La Sauvage était émerveillée et se dit à cet instant que cette maison pourrait bien être la sienne. Elle retrouva les autres mortels qui l’invitèrent à venir voir le Maître. Il y en avait deux de plus : une femelle avec de longues oreilles pointues, comme Papillon ; un petit bonhomme poilu qui n’arrêtait pas de bouger et de crier tout le temps.

Le Maître était immense. Pourtant, il semblait flotter au-dessus du sol. N’était-il qu’une image ? La conversation s’engagea avec lui. La Sauvage buvait ses paroles alors que les autres semblaient en colère après lui. La Sauvage, qui n’était pas si sauvage que cela, ne comprenait pas pourquoi les autres manquaient autant de respect envers un Maître qui était aussi bon envers eux en les acceptant dans son palais. C’était un fantôme lui aussi, mais il dégageait quelque chose de puissant, quelque chose de majestueux et de réconfortant. Pour la Sauvage, c’était acquis : Elle servirait ce Maître, même si elle ne savait pas encore qui il était.

Il disparut et les autres partirent en colère. Le petit bonhomme et la "longues oreilles" se mirent encore et encore à crier et à insulter le Maître. La Sauvage partit de son côté jusqu’aux chambres d’hôte pour aller s’y reposer.

Pendant la nuit, elle fit des rêves étranges.